Révélations

Robinson park. Un lieu dans lequel j'appréciais autrefois le rire des enfants. Aujourd'hui, tout semble bien calme. Plus un éclat de rire ne vient égayer le parc aux airs désormais bien sombre. Ces derniers temps, plus personne ne rit à Gotham. Plus personne ne sort d'ailleurs. Chacun est calfeutré chez soi, encore plus effrayé que lorsque le crime faisait trembler les ruelles sombres de la ville. Aujourd'hui, le parc déserté me rappelait combien j'avais échoué. Lorsque j'avais endossé le costume de Batman, je m'étais promis de protéger cette ville envers et contre tous. J'avais lamentablement trahi cette promesse. Je n'étais plus capable de protéger Gotham. La menace avait gagné et était apparu là où je ne m'étais pas méfié. Mon ami avait mis en place une dictature et je ne me sentais plus capable de me battre.

Alors que je m'apitoyais sur mon sort, assis sur un banc du parc, je distinguais soudain une silhouette familière. Une silhouette féminine qui traversais le parc à grandes enjambées. On aurait dit... Non! C'est impossible! Cette femme est morte! Superman l'a tué de ses mains! J'ai vu son corps sans vie... Et pourtant je ne pouvais pas rester dans le doute. Je devais en avoir le coeur net. Si Lois Lane était encore vivante, même si cela semblait impossible, elle pourrait résoudre tous les problèmes engendrés par l'extraterrestre. Elle pouvait être notre salut à tous. Je tentais de l'appeler, mais ma voix se perdit dans la brume glacée du petit matin. Je devais faire vite. Bientôt elle serait loin. Je me relevai et me mis à courir. Courir après un fantôme. Et si ce n'était pas elle? Excusez-moi madame, je vous avais pris pour quelqu'un d'autre? Tout cela était ridicule. Pourtant mon instinct me disait que je ne devais pas la laisser partir.

Au bout de quelques minutes de courses, je me trouvais à à peine quelques centimètres de la jeune femme. Elle ressemblait vraiment à Lois Lane. Je posai la main sur son épaule en la hélant. Je restai pétrifié quand elle ce retourna. C'était bien elle.

Je ne pouvais en croire mes yeux, et pourtant c'était bien elle. Elle m'avait même reconnu. Elle ne pouvait pas seulement être une femme qui lui ressemblait. C'était bien ses cheveux noirs qui chatouillaient mon nez et ses yeux aussi bleus que l'océan qui me fixaient. Plus que tout, c'était bien son parfum dont l'odeur montait dans mes narines, ce parfum que je reconnaîtrais entre mille. Mon teint blêmit alors qu'elle me serrait dans ses bras, sans que je ne sois capable de lui rendre son étreinte.

-Je... Mais... Tu es morte...

Mon pragmatisme était confronté à ce que je voyais. Était-elle un fantôme? Étais-je mort moi-même sans m'en être rendu compte? Je me sentais pourtant bien vivant. Je ne savais si j'étais paniqué ou pris d'engouement. La surprise était forte. Bien trop forte pour que je sois pleinement conscient de ce qui se passait. Au bout de quelques minutes, je me repris et je m'efforçais de me conduire comme le gentleman que j'étais.

-Lois, si nous allions boire un café ensemble? Il y en a un à quelques minutes de marche d'ici. Tu pourrais me raconter ce qu'il t'est arrivée? Je crois que moi aussi j'aurai des choses à te dire...

J'avais besoin de comprendre comment j'avais pu tenir le cadavre de la jeune femme et l'avoir à présent sous mes yeux, plus flamboyante que jamais. Lois ne m'avait jamais apparu plus vivante qu'à cet instant. Clark était-il au courant que son aimée allait on ne peut mieux? Était-il encore temps pour lui de faire machine arrière? Tant de questions qui n'avaient pas encore de réponse. Je dois dire que, même si notre entretien venait à ne pas correspondre à mes attentes, j'étais heureux de la voir saine et sauve. Après tout, javais aimé cette femme à une époque, et nous étions restés de bons amis. La sentir un instant contre moi m'avait fait un bien fou. Même si c'était bien plus difficile pour Clark que pour moi, je crois que je n'avais pas encore vraiment fait mon deuil. Je proposai mon bras à la jeune femme de dix ans ma cadette afin de la conduire dans un café.

Alors la Lois en face de moi n'était pas de ce monde? Voilà quelque chose qui était difficile à croire, surtout pour un cartésien comme moi. Mais je connaissais Lois. Ce n'était pas une menteuse. Soit elle disait la vérité, soit elle était intimement convaincue de ce qu'elle disait. Peut-être avait-elle une commotion cérébrale après l'explosion qui avait eu lieu? Pourtant, le fait qu'elle ait survécu à cette explosion me paraissait tout aussi improbable que cette histoire de trou noir. Peut-être même encore plus improbable. Il fallait que je lui pose de multiple questions afin d'être certain de ce qu'elle me racontait. Quoi qu'il en soit, quelle que puisse être la vérité, je voulais aider la Lois qui se trouvait devant moi. Je voulais que nous puissions nous allier, nous aider mutuellement dans le monde qui était le mien pour que chacun d'entre nous puisse trouver ce qu'il recherche dans ce monde.

Nous arrivons devant le bar. En parfait gentleman, j'ouvre la porte à la jeune femme qui se trouvait à côté de moi et lui fais signe de passer avant moi. Le bar ressemblait à un établissement parisien des années 1950. Le sol était un damier de carreaux noirs et blancs. Les banquettes de cuir rouge avaient des sièges si hauts qu'ils formaient des box et donnaient une ambiance à la fois cosy et intimiste. Je désigne à Lois une banquette placée contre la baie vitrée qui nous permettait de voir la brume se dissiper et le soleil se lever dans un doux dégradé de rouge, de rose et de jaune-orangé. Nous nous assîmes et je demandais à la jolie brunette.

-Tu peux m'en dire plus sur la façon dont tu es arrivée ici? (puis regardant la carte) Ma Lois prenait toujours un café aromatisé à la noisette quand nous allions au bar, tu prends ça aussi?

La serveuse arriva dans son uniforme... Comment dire... Assorti à l'ambiance du bar. Elle était vêtue à la mode des années 50. Nous passâmes notre commande. Mon attention se reporta sur mon amie.

-Raconte moi ce qu'il s'est passé depuis que tu es arrivée. Je veux tout savoir.

Je ne savais toujours pas si je devais croire à cette histoire de trou noir ou non, mais j'étais certain que ce n'était pas en la démentant que je saurais quoi que ce soit à son sujet. Bien au contraire, je risquais de la braquer. Je devais avant tout savoir ce dont elle se souvenait, ce qu'elle savait sur les événements récents dans la ville et dans tout l'Empire. Je doutais que Lois sache et soutienne les nouveaux projets de Superman. Ou alors, elle n'était résolument pas la Lois Lane que je connaissais.

Je m'étais imaginé faire cela des dizaines de fois depuis que j'ai aperçu Lois. Maintenant que c'était le moment de tout lui dire, j'aurais voulu faire marche arrière. Était-ce à moi de dire à une femme aussi pétillante et aussi amoureuse que Lois Lane l'est que la personne aimée l'avait tuée, avait tué son enfant, tué de nombreux innocents depuis l'instauration du Régime? Ma charge était lourde. Je devais trouver les mots justes pour lui dire la vérité et la ménager par la même occasion. Je ne devais pas établir un portrait à charge de Superman, pourtant je ne voyais pas quoi lui dire de positif à son sujet. Et si elle ne me croyait pas? Je commençais à bégayer en me passant la main sur le menton, mal à l'aise.

-Je... Euh... Lois, ce n'est pas facile à dire...

Pourtant je devais lui dire. Ce n'était pas facile pour moi, mais ce n'était pas facile pour elle non plus de rester dans l'ignorance, et plus que tout, c'était injuste. Pire que tout, Clark savait qu'elle était ici. Il refusait de tout lui dire et refusait d'oeuvrer à nouveau pour le bien. Je perdais peu à peu espoir. Un affrontement final viendrait entre lui et moi, ainsi que nos disciples respectifs. Peu d'issus étaient alors envisageables... Quand cette affrontement viendrait, il serait cruel que Lois soit toujours dans l'ignorance. Sa position jouerait un rôle central, même si elle n'en avait pas encore conscience. Je pris la main de la jeune femme dans la mienne avant de continuer.

-Lois, tu sais combien de fous se trouvent à Gotham. Il y a six mois de cela, l'un d'eux est parti de Gotham et a essayé de se frotter à Clark. Lois, ce qui est arrivé n'est pas de sa faute... Clark était sous l'emprise d'un poison hallucinogène... Il ne savait pas que c'était toi qu'il tuait...

Je serrais la main de Lois. Clark m'avait confié qu'elle était enceinte au moment où le drame s'était produit, lors de notre tout dernier échange. Je ne crois pas que ce soit vraiment le bon moment pour lui parler de cela. Il était déjà suffisamment difficile d'accepter que la personne qu'on aime nous a tué.

-Il a ressenti le besoin de se venger. Il a d'abord pris la vie du criminel qui l'avait empoisonné, mais ça ne lui a pas suffit... Il... Il est toujours en colère Lois, rien ne réussit à le calmer. Il a commencé par instaurer le Régime, nous sommes dans un état totalitaire maintenant. Ceux qui n'obéissent pas se font tuer...

J'avais été un peu plus abrupt sur cette deuxième partie. Je m'étais laissé emporter par l'urgence de la situation. Je murmurais à présent:

-Je sais que ça fait beaucoup à assimiler...

La pauvre Lois devait être détruite par ces nouvelles. J'espérais juste que, une fois le choc passé, elle pourrait comprendre et agir en conséquent, même si sa tête allait contre son cœur.

Lois avait tout compris. A l'évocation du Joker, je secouai la tête silencieusement de façon à acquiescer. Elle savait même ce que je ne lui avais pas dit. Je crois qu'elle avait fini d'assembler toutes les pièces du puzzle et sa vie dans ce monde commençait à lui être aussi familière que celle de son monde à elle -car après cette conversation j'étais persuadée qu'elle n'était pas la Lois que j'avais connu, bien que les similitudes étaient nombreuses, sa façon d'être, de réagir, n'était pas celle de ma Lois. J'éprouvais une certaine tristesse à discuter avec cette femme qui me rappelait que mon amie et ex-amante était bien décédée. Pourtant, ma tristesse était mélangée et atténuée par la joie de cette nouvelle rencontre. Cette jeune femme en face de moi était absolument charmante, amicale et il était plaisant de discuter avec elle, malgré la gravité de la situation. Pourtant, quelque chose n’allait pas avec cette sensation agréable que j’avais en parlant avec elle. Il y avait une forte dichotomie entre ce qui émanait d’elle et les sentiments qu’elle ressentait. Au fur et à mesure que je lui racontais l’histoire, je voyais le visage de Lois s’assombrir, comme si elle était tiraillée par son coeur qui voulait croire que je lui mentais et que l’homme qu’elle aimait était un super-héro et non un meurtrier. De l’autre côté, sa raison savait que je disais vrai. En la voyant si désemparée, je n’avais qu’une envie : la serrer dans mes bras et la protéger de ce qui pouvait la mettre en danger. Mais ce n’était pas chose à faire. A la place je lui serrais la main entre les deux miennes.

-Non Lois, tu n’es responsable de rien. Ni toi, ni ton feu alter ego de ce monde. En fait… Nous avons tous un rôle dans cette histoire. La Lois de ce monde était un détonateur, elle a été utilisée. Clark est une bombe, il est seul responsable de ses actes et de ses réactions, il n’a pas su se contrôler. Le Joker est le poseur de bombe. Il porte la faute majoritaire et je ne pleure pas sa mort. Quant à moi… Moi je n’ai pas su empêcher tout ça. Je n’ai pas réussi à surveiller le Joker pour l’empêcher de sortir de Gotham et de vous faire du mal, à Clark et à toi…

Je ressentais déjà un tel soulagement en pouvant mettre en mots la culpabilité que je ressentais. Jusque là, je n’avais pu le dire à personne et ce sentiment avait fini par me ronger de l’intérieur.

-Merci Lois. Merci pour tout.

Lois comprendrait sûrement « merci de bien vouloir nous aider ». Elle n’aurait pas tort. Mais plus que son aide, je la remerciais secrètement de m’avoir libéré.

Les mots de Lois me faisaient un  bien fou. Je me sentais libéré d'un lourd fardeau et je me sentais plus prêt que jamais à assurer le rôle du justicier masqué que j'avais choisi d'endosser. Je ne croyais pas, contrairement à ce qu'elle disait, que j'étais parfaitement innocent dans cette histoire, sinon pourquoi Clark en aurait-il tant après moi? Pourquoi s'était-il attaqué à ma femme, à ma Talia s'il n'avait pas eu l'intention de me blesser personnellement? Non, j'avais forcément une part de  responsabilité dans ce qui était arrivé, mais j'étais bien décidé à réparer mon erreur, du moins pour ce qui pouvait être réparé. J'écoutais chacun des mots de la jeune femme en remuant doucement la cuillère dans ma tasse de café. Elle avait des réserves sur ma façon d'agir. Je ne pouvais lui en vouloir. Après tout, l'un des réchappés de l'asile avait fini par la tuer. Du moins par tuer son homonyme. et pourtant...

- Clark aussi a tué. Clark aussi a pris des vie. Ne serais-tu pas prête à lui accorder une deuxième chance pour autant?

On m'avait accusé des pires maux. On m'avait accusé d'avoir moi-même créé nombre de ces criminels. Pourtant, ils étaient tous, ou presque, nés de la même façon que Clark, car oui, on pouvait dire que mon ex meilleur ami avait fini par les rejoindre. Leur objectif premier n'était pas de devenir des meurtriers, mais de se protéger ou de protéger ceux qu'ils aimaient, parce que le monde avait été dur avec eux et avec la singularité de chacun. J'eus notamment une pensée pour Freeze qui était devenu ce qu'il était pour avoir l'espoir de sauver un jour la femme qu'il aimait. Quelle différence y avait-il désormais entre le marchand de glace et l'extraterrestre? Ils étaient devenus très similaires. Cette pensée me glaça le dos. Je voulais croire qu'il y avait encore un espoir pour Clark, qu'il pourrait faire machine arrière, mais rien n'effacerait jamais le fait qu'il avait pris la vie de nombreuses personnes qu'il avait lui-même désignées coupables, souvent pour des pacotilles.

-Au fond, je crois que tu sais pourquoi je fais tout ça. Je ne suis pas comme eux.

Lois me promet d'essayer de parler à l'homme volant, et je me sens déjà rassuré. Ce soulagement fut néanmoins de courte durée. Elle évoque ensuite Wonder Woman qui aurait tendance à orienter les décisions de Clark. Je fronce les sourcils.

-Je dois admettre que je ne sais pas vraiment si elle aime Clark, même si, de loin, ça en a l'air. Mais s'il y a une chance pour qu'il fasse machine arrière, c'est toi qui peux le faire changer d'avis. Je ne sais pas comment c'était sur ta planète, mais ici, tu es le seul et unique amour qu'il ait connu. Même si tu n'es pas la Lois qu'il a connu, je reste persuadé que tu es la seule personne qui pourra l'aider.